Martin Bruneau
 

texte pour l'exposition à Occurrence, Montréal, 2011

W.I.P.

Ceci est l'histoire d'une rencontre imprévue avec un lièvre mort. Et du désir de le ramener à la vie.
Ici, j'ai choisi de mettre en scène un scénario qui s'inspire de l'esprit de Josef Beuys en me référant à sa performance " Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt" (Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort). La trame de l'histoire est que, ramené à la vie par la peinture, le lièvre nous explique désormais les tableaux.

Cette exposition se déploie à travers essentiellement deux idées qui se superposent et qui ont fait jour progressivement tout au long de l'élaboration du projet.
Une première idée, celle qui a initié le projet, s'inspire de la théorie de Ernst Haeckel sur l'ontogénie qui récapitule la phylogénie, théorie du 19ème siècle désuète mais qui offre une certaine élégance dans sa structure qui rappelle la spirale en abîme de la géométrie des fractals. A travers cette analogie j'ai voulu rendre visible la relation qui peut exister entre le processus de création d'une œuvre et le processus d'évolution de l'art (l'histoire d'une œuvre comme le reflet de l'histoire de l'art). J'ai aussi voulu voir comment le processus d'élaboration d'une œuvre ressemblait aux relations sociales et les processus d'élaboration des activités humaines - créer une œuvre entraîne des mécanismes similaires à ceux qu'on déploie dans nos rapports aux gens qui nous entourent.
La deuxième idée qui se développe dans cette exposition est celle de notre relation à l'image. Je m'intéresse à la différence entre l'image photographique et l'image peinte, comment l'une et l'autre agissent sur nous. D'où la mise en confrontation directe peinture - photo. Barthes écrit  dans la Chambre claire
Car l'immobilité de la photo est comme le résultat d'une confusion perverse entre deux concepts : le Réel et le Vivant : en attestant que l'objet a été réel, elle induit subrepticement à croire qu'il est vivant, à cause de ce leurre qui nous fait attribuer au Réel une valeur absolument supérieure, comme éternelle ; mais en déportant ce réel vers le passé ("ça a été"), elle suggère qu'il est déjà mort.
Ce rapport à la mort propre à la photo se confronte au sentiment de vie qu'émane d'une peinture. Contrairement à la photographie, la peinture nous donne à voir un objet qui exprime l'existant : ne serait-ce que la présence, par la trace, du peintre. Notre rapport à la peinture est donc assez différent de celui à la photographie qui se centre sur la notion de 'document' (tel que l'entend Rosalind Krauss, le "ça a été" de Barthes). La peinture de portrait, fonction documentaire essentielle de la peinture qui a été usurpée par la photographie, prend un autre sens, une autre signification aujourd'hui par son renvoi à l'histoire de la peinture, par sa réification en objet de collection ou décoration, et passe, paradoxalement, du statut de document à celui d'œuvre (au sens où l'entend Hannah Arendt).

Mon scénario se termine, dans la salle du bas, avec une suite de portraits à l'huile, portraits d'histoire, portraits de lièvres morts - vivants (fictions) et portraits de personnes vivantes et bien réelles.

Martin Bruneau, octobre 2011

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